Je commence à écrire aujourd'hui dans le bus. J'ai ouvert un fichier texte intitulé "Sans titre", et qui le restera sans doute, et je viens d'avoir une frayeur qui revient avec une constance absolument terrifiante. A un moment, après son arrêt au rond-point Thiers, le bus de la ligne 602 doit tourner à droite dans un rond point pour prendre le chemin vers son arrêt suivant, Le Plateau. Afin d'effectuer le mieux possible ce virage, le bus doit se déporter légèrement vers la gauche afin de tourner plus facilement vers la droite ensuite. Mais parfois, le chauffeur va tellement vers la gauche que j'ai l'impression qu'il ne va tout simplement pas tourner après, qu'il va continuer dans le sens giratoire, continuer à tourner, qu'il a oublié qu'il était dans le 602 et qu'il croit que son itinéraire implique d'aller tout droit, qu'il s'est trompé de sens, qu'il va devoir faire demi-tour. Parfois pire, j'en viens à me dire que tout est ma faute aussi, que je me suis trompé de bus, que je n'ai pas fait attention, que, pris dans mes automatismes routiniers, je n'ai pas remarqué que ce n'était pas le bon bus qui était garé au terminus des bus, et que je suis dans le 601, ou le 605, ou n'importe quel bus qui ne me mène pas chez moi, et je vais devoir faire demi-tour, changer, marcher, perdre du temps, que c'est foutu, que je ne veux pas, que je veux que ce soit simple, juste que le bus tourne à droite et tout ira bien, s'il vous plaît, ne faites pas d'erreur, ne me faites pas faire d'erreur, ne me dites pas que j'ai fais une erreur. Et tout cogne dans mon cervelet ainsi, pendant cette demi-seconde où le conducteur se déporte un peu trop sur la gauche pour que je suis parfaitement sur qu'il ne va pas oublier de tourner à droite ensuite. Et quand le bus, sorti du sens giratoire, se met à grimper l'avenue que je l'ai toujours vu prendre, alors je peux ensuite me ressaisir et constater, bien sottement, l'étendue de ma crainte en les choses que je ne contrôle pas.
Pour faire ensuite une extrapolation couplée par une métaphore dégueulasse, j'ai parfois l'impression d'être dans un bus qui s'appelle la vie. Et je sais où va le bus. Et je sais à peu près le chemin qu'il devrait prendre. Et parfois, il me fait des frayeurs. Et tourne trop vite. Ou trop tôt. Mais la métaphore ne fonctionne pas. Elle est fichue. Elle a des bosses et des plaies dans son argumentaire et je vais la laisser là, agonisante, pauvre métaphore que les dieux ont abandonné à son sort funeste et grave. Déchirons tout et recommençons. Il nous faudra arriver à une époque où nous n'aurons plus peur quand le bus tourne trop. Il nous faudrait ça. Il me faudrait ça. Je suis actuellement pris dans une confusion telle que mes yeux ont décidé de ne plus répondre que par intermittence, m'offrant donc une vision du monde complètement découpée. Mais mon arrêt arrive. Mon arrêt arrive toujours, le voilà, il est temps pour moi de me lever, d'appuyer sur le bouton rouge pour marquer l'arrêt demandé, et d'attendre que les portes s'ouvrent pour me laisser dans les rues, celles que j'attendais, car, à la fin, je suis arrivé exactement là où je voulais arriver. Et j'ai honte de n'avoir pas cru entièrement le bus. Mais tout est pardonné à la fin. Les portes s'ouvrent. Je marche. Contient d'avoir dans mon ordinateur un texte exprimant mes doutes. Je vais pouvoir le mettre sur mon blog. Je vais pouvoir respirer. Je vais pouvoir, encore une fois, sauver ma vie grâce à un blog.
Argent dépensé aujourd'hui :
4,16 euros.
Trajets en transports en commun :
- Bus 602, 18 arrêts
- RER E, 10 arrêts
- Métro 3, 8 arrêts
Nombre de centimes dépensés pour aller aux toilettes :
Zéro centimes.
Nombre de notes de musique entendues :
Une note.
Nombre de fonds touchés :
Un fond.
Acte artistique de la journée :
Ne vouloir voir que des 1 sur un tableau de bord de sa voiture. Rater. Y croire. Ressayer. Le voir.
Nombre de chiens étripés par pur plaisir :
Zéro.